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Attentat contre le Général Giraud

Giraud écarté du pouvoir et mis en résidence surveillée

 

A la suite de manœuvres politiciennes médiocres De Gaulle écarte Giraud de son poste de co-Président puis de celui de Commandant des Forces Françaises et l'oblige à rejoindre à Mazagran en Oranie, une résidence surveillée, car les autorités d'Alger voulaient pouvoir contrôler un homme qui aurait pu les géner singulièrement, si, par hasard, il lui était venu à l'idée de passer en France, à la veille du débarquement. C'était en effet le ralliement assuré autour de lui d'une masse d'anciens combattants et de cadres de l'armée entrés dans la Résistance. Autant de perdu pour celui qui voulait incarner tout seul la résistance avec l'aide des communistes.

Dans ses mémoires, «Un seul but, la victoire», le Général Giraud relate les faits avec une bienveillance qui ne correspond pas à la gravité des faits. Les gaullistes ont prétendu qu'il était politiquement nul et naïf et qu'à ce titre il fallait l'éliminer dans l'intérêt général. En vérité le Général Giraud dont la valeur militaire est unanimement reconnue était un vrai soldat qui ne connaissait que la droiture et l'honneur et se trouvait à mille lieues de tout plan machiavélique à visée personnelle.

Voici son témoignage sur l'attentat dont il fut l'objet et que l'on peut trouver dans son livre de Mémoires :

“Un seul but, la victoire”

 

 

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....... Un matin, vers 10 heures, la sentinelle, de garde à l'entrée de service sur la route, voit un militaire qui cherche, en se dissimulant dans le fossé opposé, à photographier la villa. Elle l'interpelle. L'autre fait semblant de ne pas comprendre et continue. Ce que voyant, un vieux sergent du 2ème tirailleurs, attiré par le bruit, bondit sur l'inconnu qui détale à toutes jambes et s'enfuit par le village indigène de Mazagran vers la route de Rivoli.

 

Une auto attend sur cette route, le moteur en marche. Le fuyard s'y précipite, avant que le sergent n'ait eu le temps de le saisir. La voiture démarre, non sans que le sous-officier ait pu voir qu'elle était pilotée par un militaire, peut-être même un officier. Naturellement, aucun numéro matricule.

A partir du début d'août, les agressions se multiplient de nuit sur les sentinelles. De multiples coups de feu troublent la quiétude de ce coin jusque-là tranquille.

 

Le 12, l'affaire tourne au tragique. La sentinelle placée à l'entrée d'honneur sur la route, voit un homme ramper vers elle dans le fossé. Elle lui ordonne de s'arrêter. L'individu continue. Trois sommations. La sentinelle tire et rate. L'homme s'enfuit. La sentinelle le poursuit. Sur le point d'être rejoint, l'homme se retourne et avec une arme puissante, tire à quelques mètres sur le tirailleur qui s'abat en appelant à l'aide.

Le temps que le poste accoure, que les gardes mobiles soient là, l'assassin a disparu, enlevé par une jeep stationnée à une centaine de mètres. Le tirailleur a une énorme blessure à la cuisse. On le transporte d'urgence à l'hôpital de Mostaganem, où le chirurgien est très réservé sur son sort. La blessure a été produite par un projectile de guerre à grande vitesse initiale, qui a brisé

 

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le fémur en faisant de gros dégâts. L'homme a perdu beaucoup de sang. Grâce aux Américains, qui fournissent le plasma nécessaire, on peut lui faire une transfusion qui le remonte. On le transporte par la suite à l'hôpital d'Oran. Et l'enquête commence.

Elle ne semble pas difficile à mener. Les auteurs du coup ont quasi signé leur origine. Le juge d'instruction est très rapidement fixé. Mais, mais... Alger veille, et le maquis de la procédure ne le cède en rien aux autres maquis. Malgré toutes les présomptions, malgré toutes les preuves, malgré une entrevue extrêmement orageuse entre moi-même et le commandant Louis, nul ne peut découvrir l'assassin du malheureux tirailleur qui quittera l'hôpital d'Oran, au mois d'octobre, pour rejoindre son douar des environs de Salua, amputé d'une jambe, avec la misérable pension d'un réformé indigène et le modeste secours que je lui ai donné.

Du 15 au 28 août, l'accalmie règne. II est probable que les conjurés, effrayés par les suites possibles d'un attentat manqué, étudient un nouveau plan d'attaque.

 

C'est le 28, à 18h. 45, que l'opération se déclenche.

Je me promène dans le jardin avec ma belle-fille et mon petit-fils, âgé de quelques mois, venus récemment de Mascara. Tout est calme, les nouvelles de France sont excellentes, et nous faisons gaiement des projets d'avenir.

L'allée des mûriers que nous arpentons était bordée, en contre-bas, de massifs de fleurs et d'arbustes où l'on pouvait facilement se dissimuler.

Ma belle-fille remarqua bien, à un certain moment, un tirailleur en armes qui passait de ce côté. Elle n'y fit pas autrement attention, pensant qu'il s'agissait d'une sentinelle allant prendre sa place, ou d'une patrouille circulant dans le jardin. Elle s'y attacha d'autant moins que la discussion amicale que nous poursuivions, était, à ce moment particulièrement animée et qu'elle avait fort à faire pour répondre aux affectueuses taquineries

 

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dont elle était assaillie. Ma jeune fille et le lieutenant Rosen étaient dans la villa, le personnel, ordonnances et secrétaires, dans les communs.

Brusquement, une détonation à bout portant. Je sens un coup violent à gauche de la nuque. J'y porte la main, et la vois couverte de sang. Une balle vient de me frapper. Ma première idée, vu la quantité de sang qui s'écoule, est que la carotide est coupée. J'ai trop vu de blessures de ce genre pour ne pas imaginer la suite fatale, mais je conserve cependant toute ma lucidité.

Comprimant la carotide le plus que je peux de la main gauche, je me hâte vers la villa pour m'étendre sur un tapis, tandis que la maison est tout entière en émoi.

Ma belle-fille et ma fille sont à genoux près de moi. Mon officier d'ordonnance appelle par téléphone un chirurgien de Mostaganem. Les sous-officiers, les ordonnances apportent des compresses, de l'eau oxygénée, etc...

Je retire ma main. Le sang ne jaillit pas comme il eût jailli de l'artère coupée. C'est peut-être sérieux, ce n'est sûrement pas mortel.

Doucement, Jacqueline et Monique me lavent et m'essuient la figure tout ensanglantée. La balle est entrée sous le maxillaire gauche et ressortie sous le médullaire. Une plaie béante marque l'orifice de sortie, mais signe rassurant, je peux parler sans trop de peine.

Le chirurgien arrive, m'examine, et me demande si je peux me rendre tout de suite à Mostaganem pour être radiographié. Le maxillaire et le médullaire sont vraisemblablement brisés. Il faudra appareiller la face. On part en auto à Mostaganem. Parfaitement lucide, je m'étends sur la table d'opération, et en quelques minutes, la radio est faite. On la développe instantanément, et, triomphant, le chirurgien sort du laboratoire avec le cliché. Pas un os n'est touché. Seule une dent a sauté. Le projectile n'a traversé que des parties molles.

- Dans un mois, mon Général, vous serez debout.

 

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- Inch' Allah

- Ne parlez pas trop et ne mastiquez pas. D'ailleurs, mon pansement vous en empêchera.

La figure emmitouflée dans un énorme pansement, je regagne Mazagran, beaucoup plus calme certainement que mes charmantes infirmières et mon officier d'ordonnance.

Cependant, les gardes mobiles sont partis à la recherche du meurtrier. Celui-ci a disparu sur les pentes boisées du parc, a franchi la clôture à un endroit facilement franchissable et certainement repéré, et s'est enfui sur la route de Mostaganem à Oran. On le trouve, une demi-heure plus tard, sous un ponceau de cette route, attendant peut-être un secours extérieur, suant de peur et suppliant qu'on ne l'exécute pas instantanément. Ce n'est nullement l'intention de l'adjudant Bertone, qui veut d'abord que le criminel parle.

On n'a sans doute pas employé les moyens en usage dans la Gestapo ou la Guépéou. L'assassin répond invariablement à toutes les questions qu'il a agi sur l'ordre d'Allah, qu'il ne regrette rien, sauf de ne pas m'avoir tué, qu'il avait bien visé la nuque, à cinq mètres derrière moi, mais que, malheureusement, il avait mal tiré ou que j'avais bougé. Effectivement, j'avais incliné la tête à gauche au moment du départ du coup. Ce geste machinal m'avait sauvé.

A aucun moment de l'instruction, le criminel ne se départit de son système de défense. D'origine maraboutique, il était considéré dans la compagnie comme un soldat discipliné, ayant de l'autorité sur ses camarades, à cause de ses convictions et de ses pratiques religieuses. On le savait affilié à une zaouia importante, volontiers francophobe. Impossible de découvrir les autres contacts qu'il avait pu avoir avec tel ou tel parti politique : c'est du moins ce qu'affirme l'instruction. Cependant, il parait bien avoir eu des complices, cet inspiré du Ciel, et même des complices bien pourvus

 

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d'autos militaires. Une heure après l'attentat, on vit de la villa, s'arrêter sur la route d'Oran, une« jeep » qui vint stationner pendant un bon quart d'heure exactement à l'endroit où avait été arrêté le meurtrier. Signalée par un sous-officier auquel ce stationnement parut suspect, elle reprit à toute allure la route d'Oran avant que les gardes envoyés pour la contrôler aient pu la rejoindre. Dans la soirée, une autre « jeep » vint croiser au même endroit pendant un bon moment. Elle fut parfaitement remarquée par les guetteurs de la villa. II est regrettable qu'on n'ait pu identifier ces voitures militaires pour demander à leur conducteur leurs ordres de mission.

Naturellement, l'émoi fut considérable, en Algérie et en France.

Version officielle: attentat causé par un tirailleur sénégalais ivre.

Pourquoi cette injure aux braves. Sénégalais?

Un télégramme du général de Gaulle que m'apporte le général Catroux, gouverneur de l'Algérie, me donne l'assurance que toute la lumière sera faite, etc., etc...

Grâce à ma robuste constitution, en un mois, je suis remis, et le 1er octobre, je m'envolais pour la France, pour de là me rendre chez moi à Dijon.

Huit jours plus tard, le général de Gaulle me recevait, avec de grandes démonstrations d'amitié, et m'offrait, sans doute comme compensation à ma joue traversée, la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur.

J'ai cru ne pas devoir accepter et je demandai seulement que fussent découverts les véritables auteurs de l'attentat, ceux qui avaient armé le meurtrier.

Jamais on n'y parvint.

Le meurtrier fut condamné à mort à Oran au début de 1945. J'ai demandé sa grâce par une lettre personnelle au général de Gaulle. Il ne me fut jamais répondu. L'assassin a été exécuté dans les moindres délais. Il est des cas où il vaut mieux que les «délégués » ne puis-

 

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sent plus parler. Toujours est-il que la question reste entière. On a voulu faire disparaitre le général Giraud. Donc il était gênant. Pour qui?

Ce n'est certes pas le général de Gaulle qui est l'instigateur de pareils procédés. II est au-dessus de cela. On n'en dira pas autant de certains de ses partisans. On aurait certainement trouvé, si le B.C.R.A. ou la D.G.E.R. avaient voulu chercher.

Ce qu'on peut dire, c'est que ni la Justice, ni la Police, ni le Service des Renseignements Généraux n'ont fait ce qu'ils devaient faire, dans cette occasion, pour découvrir les auteurs d'un attentat qui a été longuement prémédité, bien préparé, mal exécuté. L'attentat contre l'amiral Darlan avait été certainement mieux réussi.

Quand on veut faire disparaitre quelqu'un, il ne faut pas rater son coup.

Il est vrai que les assassina cherchèrent à masquer leur échec en diffamant celui qu'ils n'avaient pu faire disparaitre.

Je ne me doutais certes pas des véritables (?) raisons qui avaient décidé le général de Gaulle à se séparer de moi.

 

Ecoutez plutôt ce récit véridique.

En janvier 1945, ma fille Monique, installée avec moi à Dijon, visitait chaque jour à l'hôpital militaire les blessés qui y affluaient du front d'Alsace. On ne la connaissait que sous son prénom. Je lui avais interdit d'accepter le moindre galon.

Depuis plusieurs jours, elle s'occupait d'un jeune sous-officier sympathique de la division Brosset (exF.F.L.) qui allait pouvoir partir prochainement en convalescence.

Mademoiselle, vous connaissez bien Dijon?

- Oui, passablement.

- Savez-vous si le général Giraud habite ici ?

- Je ne sais pas. Pourquoi me demandez-vous cela?

- Parce que, pour nous de la division F.F.L., c'est

 

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un problème particulier. Remarquez que je ne connais pas le général Giraud, je ne l'ai vu qu'une fois quand il est venu inspecter la division en Tunisie. On disait que c'était un général qui était calé, et qu'il avait beaucoup contribué à refaire l'Armée.

Je sais qu'il est venu en Italie juste avant le commencement de l'offensive sur Rome, et puis on ne l'a plus revu.

On a appris que le général de Gaulle avait été obligé de se séparer de lui, parce qu'il cédait tout aux Américains. Il avait voulu leur vendre ou leur avait même vendu les ports, les terrains d'aviation, les chemins de fer d'Algérie, de Tunisie, du Maroc, d'A.O.F.

- Vous êtes sûr de cela? Comment l'avez-vous su?

- Oh. Mademoiselle, c'est officiel. Dans chaque régiment, des officiers sont venus nous faire une conférence à ce sujet. On nous a donné des précisions, pour Dakar, pour Casablanca, pour Oran.

- Vraiment ? Cela m'étonne. Je me renseignerai.

Et le lendemain, le pauvre garçon, qui s'était renseigné, lui aussi, sur son infirmière, lui faisait tout penaud ses excuses.

Ceux qui, un peu partout en France, ont répandu cette calomnie, n'ont pas fait leur mea culpa .

Quand je me suis élevé, chez le général de Gaulle, contre de pareilles méthodes, il m'a simplement répondu « Mais laissez donc cela, c'est vraiment trop bête. »

Je suis entièrement de son avis. De pareilles allégations sont parfaitement stupides. Mais que penser des chefs militaires qui s'abaissent à une telle propagande, de ministres civils qui colportent de pareils bruits, d'un Président du Gouvernement Provisoire qui tolère de pareilles méthodes ?

Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.

 

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La calomnie a fait son chemin.., temporairement. Elle a pu atteindre quelques milieux exaltés, elle n'a pas touché les masses profondes de la nation.

Peu à peu, on a vu les Américains abandonner les ports, les terrains d'aviation dont ils n'avaient plus besoin pour leurs opérations. Nulle part et pour cause, ils n'ont excipé des accords que j'aurais passés avec eux. Sans me livrer à aucune comparaison, je suis sûr de n'avoir abandonné aucun droit de la France sur aucune de ses possessions. Je connaissais trop l'empire colonial français et ses contingences pour me livrer à aucune improvisation hâtive, à aucune promesse inconsidérée, qui ensuite serait durement payée par la France et les Français.

Pas plus que l'assassinat physique, l'assassinat moral n'a réussi, non plus que l'asservissement. Ni médaille militaire, ni Grande Chancellerie de la Légion d'honneur, je n'ai rien accepté de ceux qui m'ont privé de la seule joie à laquelle je croyais avoir droit : rentrer en France à la tête des soldats qui venaient libérer la France.



22/09/2015
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