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L'Assassinat de Darlan

Chronologie de l'Attentat

 

Réorganisation de la France combattante

 

Depuis le 8 novembre 1942 De Gaulle piaffait d'impatience et cherchait le moyen de s'insérer à tout prix dans le gouvernement d'Alger.

Le 1er décembre 1942, par un décret officiel de la France Combattante, François d'Astier (général d'aviation rallié à De Gaulle) est nommé adjoint au général de Gaulle, commandant en chef des Forces Françaises Libres et membre du Haut Comité militaire dont il prendra la présidence en l'absence du général de Gaulle. Cette nomination fait de François d'Astier le plus important responsable militaire de la France Libre après de Gaulle.

Autorisation est demandée aux Anglais et aux Américains d'envoyer François d'Astier à Alger en mission d’information. Quelques jours plus tard, de Gaulle reçoit le feu vert d'Eisenhower pour cette mission. De Gaulle, le 14 décembre, adresse le télégramme suivant à Adrien Tixier, son représentant à Washington. "SECRET. Les Américains viennent de consentir à transporter en Afrique du Nord française le général d'Astier de La Vigerie. Je lui ai donné pour mission de s'informer sur tout et de m'informer. Cela est nécessaire pour que nous puissions régler notre attitude d'après les faits et agir en conséquence. Naturellement, d'Astier n'aura rien à voir avec Darlan. Peut-être verra-t-il Giraud, mais non officiellement. (…) (Charles de Gaulle. Lettres, notes et carnets. Plon, 1982.)"

 

La mission secrète

 

En réalité, derrière cette mission s'en cache une autre. François d'Astier est chargé de contacter son frère Henri et le comte de Paris afin de mettre au point le projet de gouvernement qui doit être instauré par les conseillers généraux d'Algérie réunis en une sorte d'Assemblée constituante. De Gaulle est d'accord pour prendre la responsabilité de ce futur gouvernement qui serait placé provisoirement sous la tutelle du comte de Paris afin de mieux faire passer la pilule chez les Français d'Algérie favorables au Maréchal Pétain. Après quoi il serait facile de se débarasser du Comte et De Gaulle resterait alors le seul maître du jeu. Par l'intermédiaire des services secrets britanniques, de Gaulle fait remettre à son adjoint l'importante somme de 40 000 dollars destinés à Henri d'Astier qui s'est engagé à servir de Gaulle en constituant avec René Capitant et Louis Joxe un comité directeur chargé de préparer la venue de De Gaulle en Afrique du Nord.

 

Parti de Londres le 18 décembre, François d'Astier, après une escale à Gibraltar, parvient à Alger dans l'après-midi du 19 décembre. Aussitôt il fait prévenir le général Eisenhower de son arrivée puis se rend à l'hôtel Aletti. La nouvelle de sa présence à Alger fait l'effet d'une bombe. Immédiatement informé, Darlan s'insurge contre les Américains qui ont permis la venue à Alger de François d'Astier. Darlan convoque Robert Murphy qui affirme n'être au courant de rien et qu'il ne peut s'agir que d'un malentendu. Le général Bergeret, proche collaborateur de Darlan, suggère de dialoguer avec François d'Astier et charge le lieutenant-colonel Gibon-Guilhelm, son aide de camp, d'aller chercher celui-ci à son hôtel et de le conduire à son bureau. Le lieutenant-colonel Gibon-Guilhelm se présente à 19 heures à l'hôtel Aletti et transmet le message de Bergeret au moment où François d'Astier entame son dîner. Avant de lui répondre, François d'Astier termine tranquillement son repas puis déclare sur un ton particulièrement méprisant, révélateur de son état d'esprit: "Je ne reconnais aucun pouvoir à Darlan; Bergeret n'est qu'un petit général de brigade. Moi, je représente 36 millions de Français et je suis l'invité du général Eisenhower, je n'irai voir ni Darlan, ni Bergeret. (Journal de marche du général Bergeret)" On trouve la même tonalité dans le compte-rendu de François d'Astier au général de Gaulle à propos de cette déclaration: "Je fais observer au lieutenant-colonel Gibon-Guilhelm que le général Bergeret ne porte que deux étoiles, qu'il n'a aucun titre de guerre, que sa fonction actuelle n'a aucun fondement régulier, mais que par contre, moi-même suis grand officier de la Légion d'Honneur et adjoint au commandant en chef des Forces Françaises Libres, et que dans ces conditions il m'est absolument impossible de rendre visite au général Bergeret ni même à l'amiral Darlan. (Documentation familiale)"

 

On prépare l'assassinat de Darlan

 

Toujours le 19 décembre, à 21 heures, François d'Astier se rend au domicile de son frère où l'attend le comte de Paris alité depuis deux jours dans la chambre même d'Henri d'Astier à cause d'une crise aiguë de paludisme. Les deux hommes s'entretiennent durant deux heures, sans témoin, tandis que dans le salon situé à côté de la chambre attendent Henri d'Astier et sa femme Louise, l'abbé Cordier, Alfred Pose et Marc Jacquet. De nombreux historiens affirment que le destin de Darlan s'est joué au cours de cet entretien. Alain Decaux écrit notamment: "Il semble évident que l'assassinat de Darlan a été évoqué explicitement entre l'envoyé de De Gaulle et le prétendant à la couronne de France. (Alain Decaux raconte. Perrin, 1980.)"

Nécessairement, le comte de Paris apprend à François d'Astier que le plan initial a échoué (réunion des Conseils Généraux) du fait de l'arrivée de Darlan, proclamé Haut Commissaire en Afrique, qu'il faut renoncer au projet ou bien trouver une autre solution. Non moins nécessairement François d'Astier lui déclare ce qu'il n'a cessé de répéter depuis son arrivée à Londres: "Darlan est un traître qui doit être liquidé". Voici ce qu'écrit le comte de Paris dans ses Mémoires à propos de cet entretien: "Le 19 décembre une entrevue fut organisée par son frère Henri, ce qui me permit de faire la connaissance d'un homme sympathique, ouvert bien que prudent et qui veillait, avant tout, à ne pas engager le général. (…) Il m'écouta avec attention, puis s'accorda pour dire qu'il convenait, le plus tôt possible, d'écarter l'amiral Darlan d'un pouvoir illégitime. (Henri comte de Paris. Mémoires d'exil et de combats. Atelier Marcel Jullian, 1979.)" Dans ces phrases tout est dit: "écarter l'amiral Darlan" est un euphémisme qui traduit l'expression de François d'Astier "liquider l'amiral Darlan".

François d'Astier a commandité l'exécution de Darlan. D'ailleurs, le lendemain de cette entrevue, le 20 décembre, il reçoit à l'hôtel Aletti Paul Saurin, président du conseil général d'Oran, qui lui demande ce qu'il compte faire de Darlan. Alain Decaux qui a recueilli le témoignage de Paul Saurin cite la réponse "claire et sèche" de François d'Astier: "Darlan va disparaître physiquement.

Le 21 décembre au matin, François d'Astier voit le général Giraud et lui demande de se rallier au général de Gaulle. Au même moment, le comte de Paris, toujours alité chez Henri d'Astier mais en meilleure forme, convoque Henri d'Astier et sa femme Louise ainsi que l'abbé Cordier, et leur donne l'ordre d'exécuter l'amiral Darlan, dans un langage qui ressemble étonnamment à celui de François d'Astier, comme si le comte répétait ce que celui-ci lui avait dit en tête à tête. C'est Louise d'Astier de La Vigerie qui a plusieurs fois raconté cette scène, notamment à l'occasion de l'émission télévisée réalisée par Alain Decaux en 1969 sur ce sujet: "Le comte de Paris nous fit la déclaration suivante: "L'amiral Darlan doit être éliminé, il faut le faire disparaître par tous les moyens" (Cité par Alain Decaux. Alain Decaux raconte. Perrin, 1980.)"

 

Et on prépare le coup d'Etat

 

A l'hôtel Aletti François d'Astier reçoit de nombreuses personnalités. C'est son frère Henri qui organise les rendez-vous, et les visiteurs qu'il introduit sont souvent les mêmes que ceux qui ont été reçus par le comte de Paris. François d'Astier rencontre notamment René Capitant avec lequel il met en place le "Comité des trois" chargé de prendre toutes les décisions concernant l'avenir du gaullisme en Algérie et qui comprend René Capitant, Henri d'Astier et Louis Joxe. Il remet à son frère les 40 000 dollars destinés à préparer la venue du général de Gaulle en Afrique du Nord.

 

Le 22 décembre, comme à son habitude, Fernand Bonnier de La Chapelle passe en fin d'après-midi au domicile d'Henri d'Astier. L'abbé Cordier le met au courant de l'ordre transmis par le comte de Paris et le charge d'abattre l'amiral Darlan. L'opération est prévue pour le 24 décembre. Ce jour-là, à 10 heures du matin, l'abbé Cordier remet à Bonnier de La Chapelle un revolver qui appartient à Henri d'Astier, le plan du Palais d'Eté où est situé le bureau de Darlan, 2 000 dollars prélevés sur l'argent apporté par François d'Astier, ainsi qu'une carte d'identité au nom de Morand qui a été établie par l'inspecteur Schmitt qui travaille dans les services du commissaire Achiary. Il est prévu que Bonnier de La Chapelle, après avoir abattu Darlan, s'échappe par la fenêtre laissée ouverte à dessein, puis prenne le train à destination du Maroc.L'assassinat est accompli le 24 décembre mais le jeune Bonnier de la Chapelle ne réussit pas à s'enfuir. Il est arrêté,

Au cours de la matinée du 25 décembre, Bonnier reçoit la visite de son père, Eugène Bonnier. Alors que celui-ci manifeste une grande inquiétude, Fernand lui parle sur un ton décontracté: "Alors, papa, tu es plus dégonflé que moi? Tu as tort. Il faut que tu saches que j'attends du secours de gens très haut placés. - Mais, Fernand, tu ne sais donc pas ce que tu risques? - La voix de Fernand est toujours assurée: «Ceux qui vont m'aider ce sont d'Astier de La Vigerie et le comte de Paris. C'est pour eux que j'ai agi. (Témoignage cité par Alain Decaux dans Alain Decaux raconte. Perrin, 1980.)"

 

Pendant ce temps, le comte de Paris fait savoir aux cinq membres du conseil d'Empire qu'il se porte candidat au poste de haut-commissaire en remplacement de l'amiral Darlan. En attendant ces élections, le pouvoir se trouve provisoirement entre les mains du gouverneur du Maroc, le général Noguès, et celui-ci, craignant pour sa vie (à juste titre, car on n'en est pas à un assassinat près), décide de précipiter les choses: Bonnier est transféré dans l'après-midi du 25 décembre au tribunal militaire et son procès a lieu en fin de journée. A l'issue d'une brève délibération, il est condamné à mort et son exécution est fixée au lendemain à l'aube.

Durant la nuit, Bonnier est interrogé sans relâche par les commissaires Garidacci et Esquerré et il finit par avouer qu'il n'a pas agi seul, que des personnes lui ont donné un revolver et des instructions. Au commissaire Esquerré qui lui demande: "Mais ces personnes qui ont organisé l'assassinat de l'amiral, qui sont-elles?", il donne sans hésiter les noms d'Henri d'Astier de La Vigerie et de l'abbé Cordier, puis il raconte tout ce qu'il sait du complot monarchiste qui a abouti à l'exécution de Darlan: "Je dois vous dire que j'allais tous les jours au domicile de M. Henri d'Astier, comme chargé de liaison du Corps franc. Dans ce Corps franc, nous avions formé entre nous un groupe de "durs", que nous appelions le "groupe d'Hydra". M. d'Astier ignorait ce détail. C'est le colonel Van Hecke qui m'avait désigné pour cette liaison. M. d'Astier me recevait fort bien, parlait de moi et m'avait présenté à ses deux filles, qui étaient très gentilles. Je n'étais pas du tout monarchiste, je n'y pensais même pas! Au cours de nos conversations, M. d'Astier me montrait que la seule solution pour que la France voit s'ouvrir devant elle un avenir brillant était un retour à la monarchie, régime dont il me faisait l'éloge. Ces conversations ont duré environ un mois. Vers le 20 décembre, tant M. d'Astier que l'abbé Cordier, qui habitait chez M. d'Astier, me firent comprendre que le seul obstacle à l'arrivée en France de cet avenir si favorable était la présence de l'amiral Darlan à la tête du gouvernement. Progressivement, j'ai compris que ces messieurs recherchaient un jeune homme courageux, convaincu de la grandeur de sa mission, qui accepterait d'accomplir une action historique: faire disparaître l'amiral.

Toutes les démarches innombrables et pressantes effectuées par les gaullistes pour tenter de sauver Bonnier du peloton d'exécution demeurent vaines. Le 26 décembre, à sept heures trente du matin, Fernand Bonnier de La Chapelle est fusillé.

 

Devant tous les faits qui précèdent, qui pourrait croire un seul instant que François d'Astier et son frère Henri ont fait sauter l'obstacle Darlan, sans l'aval de De Gaulle, uniquement pour les beaux yeux du Comte de Paris, lequel en l'occurence s'est révélé un comparse d'une grande naïveté pour ne pas utiliser un mot plus adéquat? Et si le Général Giraud, dans l'immédiat, exonérera De Gaulle de toute participation à cet assassinat et étouffera l'affaire, c'est certainement dans l'intérêt général pour éviter un scandale qui aurait pu avoir des conséquences politiques et militaires désastreuses en pleine guerre contre Rommel en Tripolitaine.

 

D'ailleurs De Gaulle, ce machiavel du "Fil de l'Epée", (qui restera son Mein Kampf sa vie durant) ne va pas tarder à récidiver en essayant de faire sauter un deuxième obstacle à son ascension, le Général Giraud.

 



23/09/2015
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